Dat woord hebben wij uit het Frans zegt van Dale, en in 1618 werd het voor het eerst bij ons aangetroffen. In het Frans kwam «moderne» al veel vroeger voor, zelfs voor 1455, en het betekende toen zoals nu: «qui est du temps présent, actuel» (CHASTELLAIN, Dict. de Vérités des Œuvres, éd. Kervyn de Lettenhove, t.6, p.223. Dat leert ons de Atilf die je op het web kunt raadplegen). Maar «modernité» is jonger. Dan zitten we al halfweg in de Franse negentiende eeuw, en wij hebben daar naderhand "moderniteit" van gemaakt. Blijkt nu, leren we van Rémi Brague, dat die substantivering een soort verstening heeft meegebracht: de cursor van de beschaving is blijven staan, en al wat daarvoor kwam mogen we rustig vergeten.
Zulke dingen leer je op France Culture, bij Finkielkraut, in zijn programma «Répliques». Misschien moeten onze ministers, die geen van allen het Latijn en Grieks willen afschaffen in de humaniora – als die benaming hen nog iets zegt, én als we hen mogen geloven – eens naar Brague luisteren, of hem godbetert lezen.
Alain Finkielkraut: Chaque société, écrit Octavio Paz dans «Point de Convergence», repose sur un Nom, véritable pierre de fondation. Autrefois ce nom était celui d’un dieu, d’une croyance ou d’un destin: Islam, Christianisme, Empire du Milieu. Mais aucune société ni époque, hors la nôtre, ne s’est elle-même qualifiée de ‘moderne’. Qu’est-ce à dire? Et quelle place y-a-t-il pour la religion chrétienne dans une Europe qui ne se définit plus comme Chrétienté, mais qui la première a donné comme idéal le temps et ses changements? Telles sont les questions que je poserai aujourd’hui à Rémi Brague et à Philippe d’Iribarne. Mais je voudrais d’abord demander à mes deux invités, de nous éclairer sur ce mot étrange – qui nous spécifie, sans rien dire de substantiel – en quoi sommes-nous modernes, quel est le sens, le programme ou le projet de ce qu’on appelle la Modernité, Philippe d’Iribarne?
Bien, la modernité c’est au départ un projet d’émancipation par rapport au préjugés, aux idées reçues, aux idées toutes faites, imposées par un pouvoir disons de quelque nature qu’il soit, qu’il soit politique, religieux etcetera. Penser par soi-même, Kant, Descartes etcetera. Et puis, c’est devenu progressivement une émancipation, disons de plus en plus radicale. Et en particulier, pour rejoindre ce que disait Octavio Paz, l’émancipation à toute origine particulière, et l’idée de construire une sorte de société hors sol, qui ne devrait plus rien à une histoire, à une culture, à une religion, disons quelle qu’elle soit. Qui soit en quelque sorte autofondée. Et c’est en cela qu’on a vraiment une rupture radicale par rapport à toutes ces sociétés qui considéraient qu’elles devaient avoir un fondement. Que ce soit un fondement ou un fondement mythique d’une manière ou d’une autre.
Alain Finkielkraut: Rémi Brague?
Le mot «moderne» est lui-même riche d’enseignement, puisqu’il désigne à l’origine ce qui est récent, ce qui vient de se passer. En Latin ça se dit «modo», dont on a fait donc un adjectif «modernus», dont notre adjectif français et dans beaucoup de langues européennes est sorti. Ce qu’il y a d’extraordinaire justement, dans ce qui s’est appelé soi-même les Temps Modernes, c’est que ce curseur qui ne cesse de se déplacer – et qui fait que aujourd’hui nous sommes plus modernes que hier, mais nous sommes beaucoup moins modernes que demain, et il en sera éternellement ainsi – ce curseur a été paradoxalement arrêté. En ce sens qu’à un certain moment, il n’y a pas un partage des eaux bien précise, cela s’est cristallisé peu à peu, à un certain moment on s’est mis à dire : eh bien à partir de dorénavant et de désormais – pour citer une vieille blague – nous serons modernes, et nous ne serons plus que cela. Nous serons de plus en plus modernes, nous ne serons plus jamais le passé d’un futur, mais nous serons toujours le futur d’un passé. Passé pour lequel on a inventé diverses poubelles, si je puis dire, la principale étant la période qui est sensée avoir précédé justement les Temps Modernes, à savoir le Moyen Âge. Le Moyen Âge c’est donc une époque prémoderne, éventuellement antimoderne, par rapport à laquelle, et bien la modernité ne cessera de se détacher victorieusement.