24 mei 2020

Bij het drinken van een glas Bourgogne



Mémoires d’un Touriste
Stendhal

À la sortie de Dijon, je regarde de tous mes yeux cette fameuse Côte-d'Or si célèbre en Europe. Il faut se rappeler le vers :
Les personnes d'esprit sont-elles jamais laides?
Sans ses vins admirables, je trouverais que rien au monde n'est plus laid que cette fameuse Côte-d'Or. Suivant le système de M. Élie de Beaumont, c'est une des premières chaînes sorties de notre globe, lorsque la croûte commença à se refroidir.
La Côte-d’Or n'est donc qu’une petite montagne bien sèche et bien laide; mais on distingue les vignes avec leurs petits piquets, et à chaque instant on trouve un nom immortel : Chambertin, le Clos-Vougeot, Romanée, Saint-Georges, Nuits. À l'aide de tant de gloire, op finit par s'accoutumer à la Côte-d'Or.
Le général Bisson, étant colonel, allait à l'armée du Rhin avec son régiment. Passant devant le Clos-Vougeot, il fait faire halte, commande à gauche en bataille, et fait rendre les honneurs militaires.
Comme mon compagnon de voyage me contait cette anecdote honorable, je vois un enclos carré d'environ quatre cents arpents, doucement incliné au midi et clos de murs. Nous arrivons à une porte en bois sur laquelle on lit en gros caractères fort laids : Clos-Vougeot. Ce nom a été fourni par la Vouge, ruisseau qui coule à quelque distance. Ce clos immortel, acquis dernièrement de MM. Tourion et Ravel par M. Aguado, appartenait autrefois aux religieux de l'abbaye de Cîteaux. Les bons pères ne vendaient pas leur vin, ils faisaient des cadeaux de ce qu'ils ne consommaient pas. Donc, aucune ruse de marchand.
Ce soir, à Beaune, j'ai eu l'honneur d'assister à une longue discussion : Faut-il vendanger le Clos-Vougeot par bandes transversales et parallèles à la route, ou par bandes verticales allant de la route au sommet du coteau? On a goûté des vins de 1832 produits d’un de ces systèmes, et des vins de 1834, je crois, donnés par le système opposé.
Chaque année a sa physionomie particulière ou plutôt des physionomies successives; le vin de 1830, par exemple, peut être inférieur au vin de 1829 à l'âge de trois ans, c'est-à-dire goûté en 1833, et lui être supérieur en 1836, lorsqu'il est parvenu à sa sixième année.
À la fin de la séance, qui a duré plus de deux heures, je commençais réellement à entrevoir les différences de certaines qualités. Tout le monde connaît le vin de la comète, qui annonça la chute de Napoléon en 1811 ; il y a ainsi tous les cinq ou six ans une année supérieure.
En général, les vins de ce pays se boivent en Belgique. Le propriétaire du Clos-Vougeot peut tromper ses chalands; il n'aurait qu'à faire répandre sur sa vigne du fumier de cheval, elle produirait beaucoup plus, mais le vin serait d’une qualité inférieure.
Une bouteille du Clos-Vougeot, qui se vend dix francs à Paris chez les restaurateurs, ne se vend pas, mais s'obtient sur les lieux, par insigne faveur, au prix de quinze francs. Mais, il faut l'avouer, rien ne lui est comparable. Ce vin n'est pas fort agréable la première et souvent la seconde année; aussi les propriétaires ont-ils toujours une réserve de cent mille bouteilles.
La poésie, avec ses exagérations aimables, s'est emparée de ce sujet si cher aux Bourguignons; et ce soir, dans son enthousiasme, mon correspondant de Beaune m'a promis de me faire boire une bouteille de vin du Clos-Vougeot provenant encore de l'abbaye de Cîteaux. Mais comment croire à cette vénérable antiquité, si après douze ou quinze ans ce vin commence à perdre ?
Du temps des moines, fins connaisseurs et qui ne vendaient pas, le clos produisait moins et le vin valait mieux ; mais de nos jours comment résister à la tentation de fumer un peu une vigne dont chaque bouteille se vend quinze francs? Il est bien exact qu'on donne aux vendangeurs d'excellents dîners et surtout des mets auxquels ils ne sont pas accoutumés, afin de leur ôter l'idée de manger du raisin.
Les vins de Nuits sont devenus célèbres depuis la maladie de Louis XIV, en 1680; les médecins ordonnèrent au roi le vieux vin de Nuits pour rétablir ses forces. Cette ordonnance de Fagon a créé la petite ville de Nuits.
J'apprends que, exactement parlant, la Côte-d'Or finit à Vosne. Les aimables vins de ce pays ont un mérite nouveau depuis 1830 : à table, les Bourguignons ne parlent que de leurs mérites comparatifs, de leurs défauts et de leurs qualités, et l'ennuyeuse politique, si impolie en province, est tout à fait laissée de côté.
Mémoires d'un Touriste
Édition de V. Del Litto
revue par Fanny Déchanet-Platz
Folio classique p.120-3

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